La sécurité privée traverse une crise profonde
Martine ROBERT | 16/04 | 17:23
Sans rentabilité structurelle, avec de nouveaux coûts et des effectifs à adapter en permanence, le secteur sécurité privée traverse une crise profonde.

Le dernier attentat dans le Super U de Trèbes dans l’Aude, qui a rouvert la semaine dernière, a rappelé douloureusement à quel point la sécurité privée est devenue un maillon incontournable dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, la Cour des comptes a épinglé très sévèrement les entreprises du secteur, s’inquiétant du dumping pratiqué sur le prix de leurs prestations au détriment du service rendu, face à des menaces durables : « Peu fiable », « qualité de service aléatoire », « importantes fragilités économiques et sociales » a pointé l’institution, soulignant les lacunes structurelles d’un secteur atomisé (67 % des entreprises n’ont aucun salarié) et en même temps concentré (43 % du chiffre d’affaires réalisés par 36 sociétés), à la faible rentabilité (1 % de marge).

Quant à l’autorité de régulation, le Conseil national des activités privées de sécurité, il ne permet pas « d’opérer une véritable sélection à l’entrée de la profession, ni de l’assainir par des contrôles efficaces », estiment les magistrats. Alors que les entreprises sont de plus en plus sollicitées pour participer à la sécurité intérieure, la Cour appelait à un « renforcement du pilotage de l’Etat ».

Les professionnels restent confrontés à une équation impossible. Ainsi en 2014, avant les attentats, Securitas, géant du secteur, employait 17.000 collaborateurs : l’entreprise est montée à 20.000 après, pour redescendre à 17.000 aujourd’hui. « Pour s’adapter, nous devons recourir aux heures supplémentaires, à notre réseau de sous-traitants labellisés, à notre propre agence d’intérim, et à un vivier de personnel en CDD », explique le patron de Securitas France, Michel Mathieu. Mais comment font les acteurs plus modestes ?

Un jeu pervers
Dès la fin 2017, le Cercle de la sécurité privée dénonçait dans une analyse cet effet yoyo. « L’Euro 2016, ce fut 12.000 agents recrutés, formés, encadrés, mis en place, puis libérés », soulignait-il, constatant ensuite que « l’environnement post attentats de 2015 et 2016 a apporté une croissance de 5 à 10 % du volume de prestations, de façon très disparate suivant les secteurs, provoquant la création de 10 à 15.000 postes d’agents qui ont disparu aussi vite qu’ils ont été créés ». Et d’ajouter que « le coût social, mal identifié par les entreprises de sécurité en général, n’a pas été intégré dans le prix. Aucun marché de services aux entreprises n’a connu une telle régression ».

Le secteur de la distribution et les donneurs d’ordre publics concentrent les mauvais points. Le premier pèse 20 % du marché de la sécurité privée (soit 700 millions d’euros sur 3,5 milliards) et sollicite plus particulièrement les opérateurs de taille intermédiaire (10 à 60 millions d’euros de chiffre d’affaires). « Nous avons assisté à un jeu très pervers de la part des plus grandes enseignes depuis 3 ans. A coup d’appels d’offres successifs bien maîtrisés, elles ont fait tourner leurs prestataires avec chaque fois un prix plus bas, faisant fi des réalités économiques », dénonce le Cercle.

Les marchés publics, représentant un volume assez voisin, recourent aussi à une myriade de PME. « Le prix y est bas, la qualité faible, les phénomènes de marché gris et de sous-traitance en cascade y sont légion. Les marchés tournent entre 1 et 3 ans, sans fidélité aux prestataires », constate-t-il, en phase avec la Cour des comptes pour qui « les donneurs d’ordre publics sont adeptes des entreprises les moins disantes ». Pour Michel Mathieu, ils sont même « pourvoyeurs de travail au noir ».

Et tandis que le CICE a été réduit de 1 % au 1er janvier – une perte de 20 millions d’euros pour la profession, selon le Cercle – l’obligation pour tout agent de sécurité de suivre, tous les cinq ans, une formation de 31 heures, représente un coût direct de 20 à 30 millions par an.

Entre l’absence de rentabilité structurelle, les nouveaux coûts, les besoins de capitaux pour se réinventer, « c’est bien dans une vraie crise que la sécurité privée s’enfonce », conclut le Cercle.

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Martine ROBERT
@martiRD